La créance d’honoraires de résultat d’un avocat nait le jour de l’exécution de la prestation caractéristique

Lorsqu’il a offert aux créanciers postérieurs un privilège de paiement à l’échéance et soumis les créanciers antérieurs à un régime contraignant d’interdiction des poursuites et des paiements et de déclaration de leurs créances, le législateur des procédures collectives a été l’instigateur d’une longue série d’arrêts venus préciser la date de naissance des créances. L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 24 mars 2015 est une nouvelle illustration des difficultés qu’ont parfois les juges à arrêter un critère sûr de détermination de cette date.

Par convention du 19 octobre 2006, une société a confié à une société civile professionnelle d’avocats la défense de ses intérêts dans un litige l’opposant à un tiers. Y était convenu un honoraire de résultat, celui-ci ne devant être réputé obtenu qu’une fois rendue une décision définitive faisant droit aux prétentions de la société. Cette dernière a été mise en redressement judiciaire le 14 mars 2011, puis en liquidation judiciaire le 10 septembre 2012. La SCP d’avocats a ensuite demandé à la société débitrice le paiement de l’honoraire de résultat, après qu’eut été rendu, le 15 janvier 2013, par la cour d’appel de Lyon désignée comme cour d’appel de renvoi après cassation, un arrêt allouant une indemnité au liquidateur ès qualités. Le liquidateur a été condamné à payer ces honoraires par décision du premier président de la cour d’appel de Riom le 6 février 2014 et a formé un pourvoi faisant essentiellement deux reproches aux juges du fond.

De la poursuite de la convention liant la SCP d’avocats à la société débitrice. Le liquidateur faisait valoir qu’il avait choisi un autre avocat pour représenter la société devant la cour d’appel de Lyon. Les juges auraient dû en déduire sa volonté de mettre un terme au

contrat du 19 octobre 2006, la décision du mandataire judiciaire de mettre fin à un contrat en cours ne nécessitant aucun formalisme particulier. Au contraire, les juges du fond ont prétendu que le liquidateur avait « expressément entériné » cette convention. La Cour n’est pas sensible à l’argument. En effet, la SCP avait poursuivi l’exécution de sa prestation après le redressement puis la liquidation judiciaire de la société débitrice. Le liquidateur avait bien choisi un autre avocat pour le représenter devant la cour d’appel de Lyon, mais il s’était borné, sans les reproduire, ni les modifier, à s’associer aux conclusions de la société débitrice établies par la SCP, auteur exclusif de l’argumentation qui avait déterminé la condamnation. Le premier président a ainsi fait ressortir que la SCP avait assisté, avec son accord, le liquidateur et que celui-ci avait opté pour la continuation des relations contractuelles liant la SCP à la société débitrice.

On rappellera simplement à ce sujet qu’il appartient à l’administrateur ou au liquidateur de judiciaire de prendre parti sur la continuation des contrats en cours. Il peut le faire en réaction à une mise en demeure délivrée par le cocontractant ou spontanément. Dans ce dernier cas, il peut contacter le cocontractant et lui indiquer sa volonté de poursuivre les relations contractuelles, ou, plus souvent exécuter le contrat en cours, cette exécution étant considérée comme valant continuation ( Cass. Com. 6 déc. 1994, no 92-18722 , JCP E 1995. I. 457, no 15, obs. Pétel. – Com. 4 mars 1998, no 96-14.348, RJDA 6/1998, no 759 ). Cette volonté tacite de poursuivre les relations avec la SCP d’avocats est en l’espèce déduite de l’utilisation par le liquidateur des conclusions rédigées par la SCP.

A noter que cette solution n’est pas valable lorsque le débiteur n’est pas assisté ou représenté par un administrateur judiciaire. En effet, dans ce cas, l’option de continuation suppose un avis conforme du mandataire judiciaire ( art. L. 627-2 C. com. Dans ce sens : Cass. Com. 6 mai 1997, no 95-10.933, JCP, éd. E, 1997. I. 681, no 13, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll. 1997. 444, obs. J. Mestre et A. Laude ). La continuation ne peut donc plus se déduire de l’exécution du contrat.

Elle n’est pas non plus valable si l’administrateur ou le liquidateur a été mis en demeure d’opter par le cocontractant et qu’il n’a pas répondu dans le délai d’un mois, le contrat étant alors résilié de plein droit.

Peut-on déduire la résiliation de la convention du choix par le liquidateur d’un autre avocat pour représenter la société débitrice ? Il faut recenser les causes de résiliation des contrats en cours énumérées à l’article L. 641-11-1 du Code de commerce pour répondre à la question. Le liquidateur judiciaire n’a pas été mis en demeure par le cocontractant de de se prononcer sur la continuation du contrat, son silence ne vaut donc pas résiliation de plein droit. Puisqu’il ne s’agissait pas d’un contrat à paiement successif, le liquidateur ne pouvait pas non plus invoquer l’insuffisance des fonds pour régler le terme suivant, autre cause de résiliation de

plein droit. Enfin, le liquidateur n’a pas informé le cocontractant de sa volonté de ne pas poursuivre le contrat, information rendue nécessaire par l’article L. 641-11-1 III 3° pour justifier la résiliation du contrat. On doit en déduire que dans la mesure où le liquidateur s’est contenté de choisir un autre avocat sans manifester expressément sa volonté de mettre un terme aux relations de la société débitrice et de la SCP d’avocats cocontractante, la convention d’honoraires était toujours en cours. Il ne peut y avoir de résiliation tacite du contrat ( V. déjà Cass. com., 7 nov. 2006, n° 05-17112 ; Act. proc. coll. 2006-19, n° 236, obs. Ph. Roussel Galle ; JCP, éd. E, 2007, 1004, n° 14, obs. M. Cabrillac ; D. 2006, p. 2846, obs. A. Lienhard ; D. 2007, pan. p. 48, obs. P.-M. Le Corre ; Journal des Sociétés, mars 2007, n° 41, comm. R. Dammann ; RTDcom. 2007, p. 239, obs. J.-L. Vallens).

Du fait générateur de la créance d’honoraires de résultat. – Le liquidateur reprochait à la SCP de n’avoir pas déclaré sa créance au passif de la société débitrice, celle-ci étant donc inopposable au débiteur. D’après lui, cette créance était née avant le jugement d’ouverture, le fait générateur étant constitué par la convention de 2006 et non par la décision de la cour d’appel de Lyon qui ne correspond qu’à la date d’exigibilité de la créance. La cour d’appel aurait confondu la date du fait générateur de la créance et la date de son exigibilité.

On mesure aisément les enjeux de l’affaire. Soit la Cour rattache le fait générateur de la créance d’honoraires à la conclusion de la convention et la créance est une créance antérieure au jugement d’ouverture qui ne peut être réglée et doit être déclarée au passif du débiteur ( art. L. 622-24 C. com. ). Soit elle choisit la date à laquelle la créance est devenue définitive et la créance – postérieure et utile – doit être payée à l’échéance ( art. L. 622-17 C. com. ).

Là encore le pourvoi est rejeté. D’après la chambre commerciale, la créance d’honoraires de résultat naît à la date de l’exécution de la prestation caractéristique. La SCP étant l’auteur exclusif de l’argumentation juridique retenue par la cour d’appel de Lyon, le premier président a fait ressortir que c’est dans le cadre de la procédure de renvoi après cassation que la prestation donnant naissance à sa créance d’honoraire de résultat avait été exécutée.

On approuve la solution proposée par la Cour même si on regrette son manque de précision.

La Cour fait une nouvelle fois application de la théorie matérialiste du contrat en retenant le critère de l’exécution de la prestation caractéristique. L’approche volontariste qu’a eue le premier président en retenant la date de conclusion de la convention semble définitivement abandonnée. Notons toutefois que la jurisprudence n’est pas toujours pleinement cohérente puisqu’elle a pu parfois retenir la date de conclusion du contrat plutôt que celle de son exécution ( la créance de remboursement d’un prêt résulte de la conclusion d’un contrat et

non du versement des fonds : Cass. Com. 11 févr. 2004, no 01-11654, Bull. civ. IV, no 30 ; D. 2004. AJ 567, obs. A. Lienhard   ; RTD com. 2004. 359, obs. D. Legeais ; JCP, éd. E, 2004. 783, no 16, obs. Ph. Pétel. V. aussi à propos d’un contrat de mandat : Cass. Com. 17 févr. 1998, no 95-15409, Bull. civ. IV, no 81 ; JCP 1998, II, 10053, rapp. Sargos ; Rev. proc. coll. 1998. 293, obs. C. Saint-Alary-Houin ; LPA 4 janv. 1999, p. 13, note Jazotte ; RTD com. 1998, p. 938, obs. A. Martin-Serf   ; JCP, éd. E, 1998. 808, rapp. Rémery, note crit. Jazottes ; LPA 4 janv. 1999, p. 13, obs. C. Saint-Alary-Houin ; JCP, éd. E, 1998. 1400, no 18, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel : la créance de commission nait à la date du contrat de mandat et non à celle de l’accomplissement de la mission de l’agent immobilier. V. encore Cass. Com. 8 janv. 2008, no 07-10394, JCP, éd. E, 2008. 1432, p. 31, obs. M. Cabrillac ; Gaz. proc. coll. 21-22 avr. 2008, p. 21, obs. L.-C. Henry ; Rev. proc. coll. 5/2009. 51, no 119, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Cass. Com. 30 sept. 2008, no 07-16688, Gaz. proc. coll. 21-22 avr. 2008, p. 31, obs. L.-C. Henry ; Rev. proc. coll. 5/2009. 51, no 119, obs. C. Saint-Alary-Houin à propos de la conclusion d’un contrat d’assurances qui constitue le fait générateur de la créance de franchise de l’assureur contre l’assuré, peu important que le sinistre et son indemnisation aient eu lieu après le jugement d’ouverture ).

La solution n’est pas pleinement satisfaisante. A quelle date exacte la créance d’honoraires a-t-elle son fait générateur ? Quelle est la prestation caractéristique d’une convention d’honoraires ? Les diligences réalisées par l’avocat pour représenter son client ? Il faudrait dans ce cas ventiler entre les prestations réalisées avant le jugement d’ouverture qui feraient naitre des créances antérieures et les prestations réalisées après ce jugement qui seraient payées à l’échéance ( dans ce sens : Cass. Com. 19 juin 2007, Bull. civ. IV, no 168; D. 2007. AJ 1878, obs. A. Lienhard; Gaz. Pal. 26-27 oct. 2007, p. 39, obs. L.-C. Henry; Procédures 2007, no 254, obs. Croze; RTD com. 2007. 837, obs. A. Martin-Serf ). A s’en tenir à la convention qui liait les parties, les honoraires étaient dus seulement en cas d’obtention du résultat espéré par la partie représentée ( le résultat n’était réputé obtenu qu’une fois rendue une décision définitive ). Dans des circonstances similaires, il a déjà été jugé que ce n’est pas la date de réalisation du résultat qui compte, mais celle de la prestation caractéristique ( Cass. Com. 27 sept. 2011, Bull. civ. IV, no 142; D. 2011. Actu. 2398, obs. A. Lienhard; Rev. sociétés 2011. 730, obs. Ph. Roussel Galle; Act. proc. coll. 2011, no 264, obs. Cagnoli; LEDEN oct. 2011, p. 2, obs. Rubellin; BJED 2012. 17, note E. Le Corre-Broly; Gaz. Pal. 20-21 janv. 2012, p. 18, obs. L.-C. Henry ).

En l’espèce, les juges d’appel avait retenu la date de l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi après cassation. Si la Cour rejette le pourvoi formé contre cette décision, elle retient néanmoins une autre date : « c’est dans le cadre de la procédure de renvoi après cassation que la prestation a donné naissance à la créance ». On peut difficilement faire plus imprécis. Faut-

il en déduire que la prestation caractéristique est constituée par les diligences réalisées par l’avocat durant la procédure en vue de l’acceptation de sa prétention ? Ou que la seule date à retenir est celle de la décision qui révèle que l’avocat a atteint l’objectif prévu dans la convention d’honoraires ? A notre sens, la créance ne nait que si le résultat est obtenu. Mais finalement, en l’espèce, peu importe l’imprécision de la Cour puisque, quelle que soit la date retenue, le fait générateur était de toute façon postérieur à l’ouverture de la procédure.

La Cour n’a par ailleurs pas eu à vérifier que la créance était « utile » pour faire bénéficier la SCP du privilège de paiement à l’échéance. En application de l’article L. 641-13 du Code de commerce, sont payées à leur échéance les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire si elles sont nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l’activité autorisé en application de l’article L. 641-10, si elles sont nées en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l’activité ou en exécution d’un contrat en cours décidée par le liquidateur ou si elles sont nées des besoins de la vie courante du débiteur, personne physique. Il ne fait aucun doute que la créance est bien née en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur ( V. à propos d’une créance de dépens postérieure et utile : Cass. Com. 15 oct. 2013, n° 12-23830, Bull. civ. IV, n° 152 ; D. actu, 25 oct. 2013, obs. A. Lienhard; Rev. sociétés 2013, p. 728, obs. P. Roussel Galle ).

 

La créance postérieure et utile doit être payée à l’échéance. A défaut, la créance impayée doit être portée à la connaissance du mandataire judiciaire, de l’administrateur lorsqu’il en est désigné ou du liquidateur au plus tard, dans le délai de six mois à compter de la publication du jugement ouvrant ou prononçant la liquidation. La créance sera payée par privilège avant toutes les autres créances, sans préjudice des droits de rétention opposables à la procédure collective, à l’exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du Code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure, de celles qui sont garanties par le privilège établi par l’article L. 611-11 du présent code et de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières mais avant les autres créanciers.

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