Note sous

Cass. 3e civ., 14 janv. 2015, n° 13-23.490, FS-P+B+I, Sté Jobal c/ Sté Generali.

 

Le 30 septembre 2004, un bailleur délivre à son preneur congé avec offre de renouvellement pour le 31 mars 2005. Le juge des loyers est saisi, ordonne une expertise et fixe un loyer provisionnel. Le 19 juin 2008, le bailleur délivre un commandement de payer visant la clause résolutoire. Le preneur l’assigne en nullité du commandement. Alors que cette instance est pendante, le juge des loyers fixe le nouveau loyer par décision du 29 octobre 2008. Le 13 février 2009 le locataire notifie l’exercice de son droit d’option et forme, dans l’instance en nullité du commandement, une demande additionnelle en restitution de loyers et charges trop perçus. A titre reconventionnel, le bailleur demande le paiement des loyers et charges échus depuis 2009 au motif que le droit d’option a été notifié hors délai.

 

Lorsque le bailleur délivre congé avec offre de renouvellement il a la possibilité de changer d’avis et de refuser le renouvellement moyennant paiement d’une indemnité d’éviction. De même, le preneur peut refuser le renouvellement si par exemple le loyer fixé par le juge ne lui permet pas une activité rentable. C’est le droit d’option, posé à l’article L. 145-57 du Code de commerce dont l’alinéa 2 précise qu’il peut être exercé au plus tard « dans le délai d’un mois qui suivra la signification de la décision définitive… », la décision visée étant celle rendue à l’issue de l’instance relative à la fixation du prix du bail renouvelé.

La durée de ce délai ne pose pas vraiment de difficulté. Il s’agit d’un délai d’un mois qui constitue une date limite au-delà de laquelle le droit d’option est perdu. La Cour de cassation a précisé que ce droit était ouvert à tout moment, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la signification de la décision fixant le loyer devenue définitive. En effet, le bailleur peut exercer son droit d’option à tout moment au cours de l’instance en fixation de loyer et en dernier lieu dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision devenue définitive. Ainsi, viole l’article L. 145-57 du Code de commerce une cour d’appel qui déclare

irrecevable la notification faite au cours de l’instance d’appel d’un droit d’option au motif que le bailleur ne peut exercer son droit d’option que dans le délai d’un mois suivant la signification de la décision des premiers juges, puis en cas d’appel, dans le délai d’un mois suivant la signification de l’arrêt d’appel (Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-29.020, FS-P+B+I, Sté Saint-Maur Ambroise c/ Djaoud pourvoi c/ CA Paris, pôle 5, 3e ch., 12 sept. 2012 : JurisData n° 2013-028722 : Loyers et copr. 2014, comm. n  47, note Ph.-H. Brault ; JCP G 2014, 326, note C. Lebel ; Gaz. Pal. n° 108-109, 18 avr. 2014, p. 37, note Ch.-E. Brault ; AJDI 9/2014, 619, note J.-P. Blatter ; Administrer févr. 2014, 35, obs. D. Lipman-W. Boccara ; Lexbase Hebdo éd. aff. n° 363, 19 déc. 2013, note J. Prigent ; Lexbase Hebdo éd. aff. n° 389, 10 juill. 2014, Compte-rendu de la réunion du 29 janvier 2014 de la sous-commission « Baux commerciaux » du barreau de Paris, V. Téchené ; Rev. loyers et fermages n° 944, 2014, p. 65, note C. Quément).

 

On s’est interrogé en revanche sur son point de départ, une jurisprudence ancienne ayant estimé qu’il convenait de signifier la décision rendue pour faire courir le délai d’appel, puis de procéder à une seconde signification pour faire courir le délai d’option (Cass. com., 20 avr. 1953 : Gaz. Pal. 1953, 2, p. 45. – CA Paris, 4 mars 1968 : Rev. loyers 1968, p. 171, note Viatte). En cas d’exercice du droit d’option après fixation du loyer suivant arrêt rendu par une cour d’appel, il avait également été jugé que la signification de la décision faisait courir le délai d’un mois prescrit par le texte légal (TGI Paris, 31 janv. 1977 : Rev. loyers 1977, p. 227).

 

Le problème venait de l’ambigüité entourant la notion de « décision définitive » susceptible de deux interprétations. Un jugement définitif est une décision qui dessaisit le juge avant de passer ultérieurement en force de chose jugée, faute d’appel interjeté par l’une ou l’autre des parties. Aussi, le libellé de ces termes « signification de la décision définitive » a conduit la jurisprudence et la doctrine à considérer un temps qu’une nouvelle signification de la décision du juge des loyers fixant les conditions du nouveau bail et notamment le prix du loyer était nécessaire, à l’expiration du délai d’appel, pour faire courir le délai d’option. C’était le sens de l’arrêt de la Cour de cassation intervenu sous l’empire de l’article 3 de la loi du 30 juin 1926 qui prévoyait une disposition analogue à celle de l’article 31 du décret du 30 septembre 1953 devenu l’article L 145-57 du Code de commerce et qui a jugé que « lorsque l’ordonnance du président n’a pas été frappée d’appel dans le délai légal, et a acquis un caractère définitif, une nouvelle signification est nécessaire pour ouvrir le délai d’option du propriétaire » (Cass. civ., 20 avril 1953, précit. ; cf. Code des baux, LexisNexis, 2015, ss. art. L. 145-57 C. com. ; Code des baux, Dalloz, 2015, ss. art. L. 145-57 C. com.).

 

Dans l’affaire commentée, le preneur reprenait exactement cette argumentation. Il faisait valoir qu’il avait régulièrement exercé son droit d’option en application de l’article L. 145-57 du Code de commerce, que le bailleur devait en effet, ainsi qu’il a été jugé par la Cour de cassation (Cass. civ., 20 avril 1953, précit.) procédé à deux significations, une pour faire courir le délai d’appel et une autre pour faire courir l’exercice du droit d’option à compter de la décision définitive, et que le bailleur n’avait pas ici procédé à cette seconde signification constituant le point de départ de son droit d’option de sorte que celui-ci ne pouvait être considéré comme tardif faute d’avoir commencé à courir.

 

Toutefois, comme l’avait jugé la Cour d’appel dans son arrêt du 19 juin 2013, il faut entendre par décision définitive une décision ayant autorité de chose jugée par opposition à celle ayant acquis force de chose jugée contre laquelle aucune voie de recours ordinaire ne peut être exercée ou encore à celle irrévocable qui ne peut plus être attaquée par une voie de recours ordinaire ou extraordinaire. La décision du juge des loyers fixant le prix du loyer du bail renouvelé dessaisit le juge dès son prononcé et a ainsi autorité de chose jugée par application de l’article 480 du Code de procédure civile (CA Paris, pôle 5, 3e ch., 19 juin 2013, SAS Jobal Expansion Optic c/ SA Cie d’assurances Generali France, appel TGI Paris, 24 mai 2011 : JurisData n° 2013-013539 ; Loyers et copr. 2013, comm. n  308, note Ph.-H. Brault ; Administrer oct. 2013, 35, obs. D. Lipman-W. Boccara). Elle doit donc être considérée comme définitive au sens de l’article L. 145-57 du Code de commerce. Dès lors, la signification du jugement du 29 octobre 2008 fixant le prix du loyer du bail renouvelé ayant été faite le 16 décembre 2008, l’exercice par le locataire de son droit d’option le 13 février 2009 l’a été tardivement et c’est à bon droit que les premiers juges ont jugé que le bail s’est renouvelé entre les parties aux conditions fixées par le jugement du 29 octobre 2008.

 

Et ce d’autant plus que la lettre même de l’article L. 145-57 ne prévoit nullement une double signification de la décision qui fixe le montant du loyer du bail renouvelé, l’une faisant courir le délai d’appel et l’autre subséquente constituant en réalité le point de départ du délai d’option du bailleur ou du locataire. Après fixation du loyer du bail renouvelé par le juge des loyers commerciaux, la signification de la décision rendue à l’initiative de l’une ou de l’autre des parties fait par conséquent courir à la fois le délai d’appel et le délai pendant lequel le droit d’option peut être éventuellement exercé par l’une ou l’autre des parties.

 

Dans une décision essentielle promise à la plus large diffusion la Cour de cassation confirme que lorsque le droit d’option est exercé en matière de bail commercial, c’est-à-dire le droit pour le bailleur ou pour le preneur de changer d’avis en refusant le renouvellement du bail, le délai butoir d’un mois commence à courir dès la signification de la décision définitive fixant le loyer (Cass. 3e civ., 14 janv. 2015, n° 13-23.490, FS-P+B+I, Sté Jobal c/ Sté Generali ; D. actu 21 janv. 2015, obs. Y Rouquet). En l’occurrence, la cour d’appel a retenu à bon droit que le Code de commerce ne prévoyait pas de double signification de la décision fixant le montant du loyer du bail renouvelé pour l’exercice du droit d’option et constate que la signification du jugement du 29 octobre 2008 fixant le prix du bail renouvelé avait été faite le 16 décembre 2008, pour en déduire exactement que l’exercice par la société locataire de son droit d’option le 13 février 2009 était tardif, car exercé plus d’un mois après le 16 décembre 2008, de sorte que le bail s’est renouvelé entre les parties aux conditions fixées dont le prix par le jugement du 29 octobre 2008. La cour d’appel n’a pas violé l’article L. 145-57, alinéa 2 du Code de commerce puisque le jugement rendu le 29 octobre 2008, signifié le 16 décembre 2008, était passé en force de chose jugée à l’expiration du délai d’un mois et le preneur ne pouvait valablement tenter d’exercer le droit d’option en le notifiant le 13 février 2009. Il n’avait pour ce faire que jusqu’au 16 janvier 2009.

 

La décision judiciaire définitive s’entend donc à juste titre selon nous d’une décision qui dessaisit la juridiction qui a examiné l’affaire et rendue sa décision (TGI Paris, 31 janv. 1977, précit. jugeant que le délai légal court à compter de la signification de la décision judiciaire définitive, c’est-à-dire d’une décision qui dessaisit la juridiction qui a examiné l’affaire et rendue sa décision), si bien que la signification de celle-ci doit être considérée comme faisant courir le délai légal. Une seule signification suffit.

 

Rédiger un contrat de bail commercial n’est pas une sinécure tellement certaines clauses peuvent s’avérer privées d’efficacité tant pour le preneur que pour le bailleur.