bail commercial et cession de fonds de commerce : chausses trappes rédactionnelles

Bastien BRIGNON

Maître de conférences HDR à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d’Aix-Marseille
bastien.brignon@univ-amu.fr

Rédiger un contrat de bail commercial n’est pas une sinécure tellement certaines clauses peuvent s’avérer privées d’efficacité tant pour le preneur que pour le bailleur.

 

Ainsi, côté preneur, dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 9 avril 2014 (Cass. 3ème civ., 9 avril 2014, n° 13-13.949, FS-P+B, D. actualité, 18 avril 2014, obs. Y. Rouquet), une société avait pris à bail des locaux commerciaux situés dans un immeuble appartenant à des époux. Le bail contenait une clause dite « de droit de préemption » suivant laquelle le bailleur accorderait un tel droit au profit du preneur en cas de vente des locaux faisant l’objet du bail et lui fournirait à cette occasion une copie de l’offre d’achat qui lui serait faite pour les locaux. Or, l’immeuble ayant été vendu en son intégralité à une SCI, le preneur estimait que cette vente avait eu lieu en fraude de son droit de préemption. Il avait alors assigné son bailleur et la SCI aux fins d’annulation de la vente.

 

Confirmant l’arrêt d’appel, ayant relevé que le preneur entendait exercer son droit de préemption sur les seuls locaux objet du bail et retenu que l’application de la clause litigieuse ne saurait conduire à imposer aux propriétaires de diviser leur bien en vue de le céder à des personnes distinctes, la Cour de cassation rejette le pourvoi du preneur. La clause ne couvrait pas la vente de l’intégralité de l’immeuble mais seulement la partie objet du bail. Dès lors que tout l’immeuble était vendu, la clause de préemption se trouvait sans application.

 

Le preneur tentait de remettre en cause la cession intervenue en justifiant avoir procédé à la publication de l’exploit introductif d’instance pour satisfaire aux exigences légales relatives à la publicité foncière, mais ses prétentions se heurtaient à l’analyse préalable de la clause instituant le droit de préférence dès lors que celle-ci avait pour seul but la vente des locaux faisant l’objet du bail, alors que la cession avait pour objet la totalité de l’ensemble immobilier abritant pour partie les locaux donnés à bail, comme le souligne l’arrêt d’appel (CA Paris, 6 févr. 2013, n° 09-14.940, Loyers et copr. 2013, comm. n° 113, note P.-H. Brault).

 

A vrai dire, le champ d’application de la clause était assez limité : d’abord n’était concernée que la partie de l’immeuble objet du bail, ensuite n’étaient visées que les ventes. Ce qui signifie qu’une donation, un apport, une transmission par voie de fusion, scission, apport partiel d’actif échappaient également au jeu de la clause.

 

Toute autre aurait été la solution bien entendu si l’assiette de la préférence avait porté également sur la totalité de l’immeuble, ce qui aurait été parfaitement plausible, avec l’obligation toutefois, pour le bénéficiaire de la préférence, c’est-à-dire le preneur, d’acquérir tout l’immeuble en cas de proposition de vente de la totalité de l’immeuble, et pas seulement la partie de l’immeuble objet du bail (CA Bordeaux, 2e ch. civ., 16 nov. 2011, n° 10/02609 cité in note P.-H. Brault précit.).

 

Par conséquent, afin de doter la clause d’un champ d’application le plus large possible, il est souvent conseillé d’être à la fois assez vague (« tout mode transmission, sous quelque forme que ce soit » ; « préemption portant sur tout ou partie de l’immeuble »), pour englober tous les modes de transmission (attention néanmoins à l’utilisation du terme « transfert » : CA Paris, 3e ch., sect. A., 4 déc. 2007, SA Mongoual c/ SAS Montaigne Jean Goujon, Dr. sociétés avril 2008, comm. n° 69, note M.-L. Coquelet ; CA Rouen, ch. civ. et com., 9 juin 2011, n° 10/05530, SA Dialoge c / Association Logeo et Union des Entreprises et des Salariés pour le Logement, JCP E 2011, 1597, note Y. Paclot), et à la fois assez précis, pour viser un maximum d’hypothèses. Assez précis, cela signifie lister un maximum d’opérations, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité (M. Benlaala, Point sur la pratique des clauses statutaires d’agrément de cessions d’actions, Dr. sociétés juin 2012, focus, alerte 24). Le problème de la liste est qu’il suffit que l’une des opérations n’y figurent pas pour qu’elle échappe au jeu de la clause, la réserve de l’absence d’exhaustivité étant nous semble-t-il dénuée d’effet.

 

En l’espèce, il aurait donc été préférable de stipuler, du moins pour le preneur, une préférence portant sur tout ou partie de l’immeuble, voire d’élargir la vente à toute hypothèse de transmission et transfert de propriété. Mais cela aurait été sans doute octroyer une préférence trop large et trop forte au preneur, ce que certainement les propriétaires ne souhaitaient pas. On ne peut pas raisonnablement jouer à la fois sur l’assiette de la préférence et à la fois sur les modes de transmission, sous peine de déséquilibre contractuel.

 

Le bailleur, de son côté, souhaite traditionnellement se prémunir d’un changement brutal de cocontractant. Aussi, il soumet souvent les cessions de fonds de commerce, et donc de droit au bail, à certaines conditions, dans la limite néanmoins de l’article L. 145-16 du Code de commerce. Ainsi, est-il possible de stipuler une clause rendant le cédant garant solidaire, envers le bailleur, du paiement des loyers du cessionnaire (Cass. 3e civ., 5 juin 2002, Bull. civ. III, n° 124), ou même celle subordonnant la cession à l’agrément du cessionnaire (Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-02.035, Bull. civ. III, n° 192 ; D. 2002, AJ 2943, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2003, 30, note M.-P. Dumont). En contrepartie cependant, le juge peut passer outre un refus d’agrément injustifié (J. Mestre et alii, Droit commercial, 29e éd., LGDJ, 2012, n° 876), un tel refus ne pouvant être discrétionnaire et devant être légitimement motivé (Cass. 3e civ., 15 juin 2011, n° 10-16233, inédit). Le bailleur peut même demander à intervenir à l’acte, voire, en cas de liquidation judiciaire d’un fonds de commerce contenant un bail commercial, prévoir la garantie par le cessionnaire du paiement par le preneur de la totalité des sommes dues au titre du bail à la date de la cession, peu important que cette redoutable clause de garantie n’ait pas été reproduite dans l’ordonnance du juge-commissaire autorisant la cession de gré à gré, et sans que cela ne soit contraire aux dispositions des articles L. 641-12 et L. 642-19 du Code de commerce (Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-23.539, Bull. civ. IV, n° 141 ; D. 2011, 2399, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2012, 722, obs. B. Saintourens ; LEDEN oct. 2011, n° 9, comm. 158, obs. P. Rubellin).

 

Dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 9 avril 2014 (Cass. 3ème civ., 9 avril 2014, n° 13-11.640, FS-P+B, n° 471 FS-PB, Sté France d’Outremer c/ Sté La Bastide – le confort médical ; D. actualité, 28 avril 2014, obs. Y. Rouquet), une SCI avait donné à bail un local à usage commercial à compter du 1er janvier 1994 à une société commerciale, qui en avait demandé le renouvellement le 23 janvier 2003. Mais en 2006 la SCI avait assigné la société locataire en résiliation du bail au motif qu’elle avait été dissoute sur décision de l’assemblée générale et que, par l’effet de l’article 1844-5 alinéa 3 du Code civil, tout son patrimoine avait été transmis à une autre société, associé unique du preneur. Or le bail commercial contenait une clause selon laquelle « la Société preneuse ne pourra céder sous quelque forme et à quelque titre que ce soit son droit au présent bail, sans l’autorisation préalable expresse et par écrit de la Société bailleresse, à moins que ce ne soit à l’acquéreur de son fonds de commerce, et en restant garant et répondant solidaire de son cessionnaire ou du bénéficiaire de la mutation ». Pour le bailleur, la transmission universelle du patrimoine (« TUP ») ainsi réalisée ne pouvait faire échec à son agrément préalable.

 

La Cour de cassation estime au contraire, à l’instar des juges du fond, que l’autorisation du bailleur n’était pas requise dans la mesure où il ne s’agissait pas d’une cession de bail mais d’une TUP incluant le droit au bail. Autrement dit, la clause d’autorisation du bailleur, limitée aux hypothèses de cession, n’avait pas à s’appliquer dans le cadre d’une TUP. Transmission n’est pas cession…

 

Amis rédacteur, à vos plumes !