Etude et commentaire de l’arrêt de Cass. Com. 17 févr. 2015, n° 13-17076, publié au bulletin

Le jugement de liquidation judiciaire ne provoque pas de plein la résiliation des contrats en cours, même si le tribunal n’a pas opté pour le maintien provisoire de l’activité. Ce n’est que dans les conditions exposées à l’article L. 641-11-1 du Code de commerce qu’il pourra être mis un terme au contrat.

L’arrêt commenté illustre l’acharnement dont sont susceptibles de faire preuve les cocontractants d’un débiteur en liquidation judiciaire désireux d’obtenir la résiliation du contrat.

Les circonstances de l’affaire mettaient trois parties en présence : un crédit bailleur immobilier, un crédit preneur et une société qui s’était s’engagée à devenir cessionnaire de ce contrat si le crédit preneur devait manquer à son obligation de paiement de l’une des échéances et ne pas satisfaire à un commandement de payer dans un délai de trente jours, la réalisation de ces conditions suspensives devant être constatée par acte notarié.

Le crédit preneur est mis en liquidation judiciaire le 28 janvier 2010.

Le 2 avril 2010, le crédit bailleur a fait délivrer au liquidateur judiciaire un commandement de payer au titre des loyers et charges dus après le jugement d’ouverture et l’a dénoncé à la société candidate à la reprise du contrat. Par acte notarié du 21 juin 2010, a été constaté le caractère parfait de la cession du contrat.

La société cessionnaire a demandé par la suite au juge-commissaire qu’il prononce la réalisation de plein droit du contrat. Le juge-commissaire fit droit à sa demande par ordonnance du 24 janvier 2011. Le crédit bailleur a alors formé un recours contre cette décision et obtient satisfaction, les juges d’appel ayant annulé l’ordonnance du juge-commissaire.

Au soutien de son pourvoi, la société cessionnaire a invoqué tour à tour les trois cas de résiliation de plein droit du contrat énumérés à l’article L. 641-11-1 III du Code de commerce.

 

Résiliation de plein droit en application de l’article L. 641-11-1 III 1° du Code de commerce.

Le contrat en cours est résilié de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant au liquidateur et restée plus d’un mois sans réponse ( avant l’expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir au liquidateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer ).

D’après la société cessionnaire du contrat, la loi ne soumettant pas cette mise en demeure à une forme particulière, la sommation envoyée par le crédit bailleur le 2 avril 2010 équivaut à une mise en demeure. Dans cette sommation, le crédit bailleur avait mis en demeure le liquidateur d’avoir à lui payer les redevances postérieures au jugement d’ouverture et lui a rappelé qu’à défaut de déférer, le contrat de crédit-bail cesserait de bénéficier au crédit-preneur en liquidation et serait donc cessible. Pour le cessionnaire, pas de doute : il s’agissait d’une interpellation explicite quant à la continuation ou non du contrat.

Pourtant, les juges d’appel, approuvés par la Cour de cassation, ont retenu au contraire que le crédit bailleur avait seulement fait commandement au liquidateur de payer l’arriéré locatif en l’avertissant, ainsi que la société candidate à la reprise, qu’il entendait se prévaloir de la clause de cession du contrat de crédit-bail. Il ne s’agissait pas d’une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat. Peu importe donc que le liquidateur n’ait pas répondu dans le mois de la sommation.

S’il est vrai que les textes sont silencieux sur la forme et le contenu de la mise en demeure à adresser à l’administrateur ( V. art. R. 627-1 du code de commerce pour la mise en demeure adressée au débiteur : en l’absence d’administrateur, le cocontractant adresse au débiteur la mise en demeure, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ), il n’en demeure pas moins que les juges ont à plusieurs reprises affirmé que cette mise en demeure doit être dépourvue d’équivoque et doit clairement interroger l’administrateur sur ses intentions quant à la poursuite du contrat. Dès lors, ne constitue pas une mise en demeure le courrier dans lequel le crédit bailleur informe l’administrateur de la résiliation du contrat pour défaut de paiement des loyers ( Cass. Com. 16 mars 2010, no 09-12572, Rev. proc. coll. 2010. 52, obs. Ph. Roussel-Galle ), ni la déclaration unilatérale du cocontractant dans laquelle il manifeste sa volonté de ne pas poursuivre les relations contractuelles ( Paris, 9 nov. 1994, D. 1995. IR 18  ), ni encore la demande quant à la conduite à tenir pour les créances antérieures et postérieures ( Paris 3e ch. Sect. B, 28 févr. 2008, n° 07/6504, Rev. proc. coll. 2009-6, n° 164, p. 41, obs. Ph. Roussel Galle). L’arrêt commenté se situe dans la droite ligne de cette jurisprudence.

 

Résiliation de plein droit en application de l’article L. 641-11-1, III, 2° du code de commerce.

Le contrat en cours est résilié de plein droit à défaut de paiement dans les conditions définies au II c’est-à-dire, s’agissant d’une prestation portant sur une somme d’argent, au comptant, et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles.

Le cessionnaire du contrat de crédit-bail faisait valoir que la sommation de payer portait sur deux mensualités échues, postérieures au jugement d’ouverture que le liquidateur n’a pas réglés, de sorte que le contrat s’était trouvé résilié de plein droit.

Là encore, les juges d’appel n’ont pas suivi le cessionnaire. La condition prévue par le texte ne peut être remplie puisque le crédit bailleur a clairement manifesté son intention de poursuivre la relation contractuelle avec la société cessionnaire du contrat de crédit-bail par l’acte de dénonciation sous condition suspensive et par la sommation à comparaître chez le notaire. Et la Cour de confirmer que seul un contrat en cours pouvant être cédé, l’intention du cocontractant de poursuivre la relation contractuelle avec le cessionnaire implique celle de maintenir cette relation avec le cédant jusqu’à la cession.

La Cour donne ainsi l’occasion de préciser, même si le texte n’était pas sujet à interprétation, que le non-paiement de la somme d’argent prévue au contrat ne suffit pas à justifier la résiliation de plein droit. Le choix est laissé au cocontractant de poursuivre ou non les relations, malgré ce défaut de paiement. Or, précisément en l’espèce, le crédit bailleur a marqué sa volonté de poursuivre ses relations avec le cessionnaire, ce qui supposait qu’elles soient poursuivies aussi avec le crédit-preneur.

 

Résiliation de plein droit en application de l’article L. 641-11-1, III, 3° du code de commerce

 

Le contrat en cours est résilié de plein droit lorsque la prestation du débiteur porte sur le paiement d’une somme d’argent, au jour où le cocontractant est informé de la décision du liquidateur de ne pas poursuivre le contrat.

D’après le cessionnaire, le liquidateur avait tacitement renoncé à poursuivre le contrat en refusant de payer les loyers échus après la sommation du 2 avril 2010. C’était oublier, et la Cour se charge de le lui rappeler, que cette résiliation suppose une manifestation expresse de volonté de la part du liquidateur. Or, en l’espèce, le liquidateur ne s’était pas manifesté en ce sens. Son silence fait obstacle à toute résiliation de plein droit du contrat. Le tribunal lui-même ne peut prévoir que le contrat cessera au terme du maintien exceptionnel d’activité ( Cass. Com. 7 févr. 2012, Bull. civ. IV, no 30; D. 2012. Actu. 494, obs. A. Lienhard; Rev. proc. coll. 2012, no 128, obs. Ph. Roussel Galle; RJDA 2012, no 886 ).