Répartition des actifs de la société en liquidation judiciaire
- Liquidations judiciaires
- / 02-06-2014
Commentaire de l’arrêt de la Ch. Com. de la Cour de Cassation du 11/06/14 n° 13-12658
Voilà une décision qui devrait rassurer les créanciers privilégiés, parfois si mal traités lorsque leur débiteur fait l’objet d’une procédure collective. Elle est d’autant plus digne de commentaire qu’elle recevra les honneurs d’une publication au Rapport annuel.
Contexte Légal
En application de l’article L. 643-8 du Code de commerce – article L. 622-29 à l’époque des faits, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 -, le montant de l’actif, distraction faite des frais et dépens de la liquidation judiciaire, des subsides accordés au débiteur personne physique ou aux dirigeants ou à leur famille et des sommes payées aux créanciers privilégiés, est réparti entre tous les créanciers au marc le franc de leurs créances admises.
Clarification de la Jurisprudence
Pour la première fois, la Cour de cassation est amenée à préciser les contours de cette disposition.
La question se posait de déterminer quelle catégorie de créanciers est concernée par cette répartition au marc le franc. D’après les juges d‘appel, les créanciers étaient tous en concours, y compris les créanciers privilégiés. Elle proposait donc un paiement au prorata sans tenir compte des privilèges ou du rang de paiement privilégié de certains créanciers.
C’était confondre cette disposition régissant l’apurement du passif d’un débiteur en liquidation judiciaire avec celle de l’alinéa 3 de l’article L. 622-20 qui ne concerne que les sommes recouvrées par le mandataire judiciaire au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Ces dernières sommes sont en effet réparties au marc le franc, c’est-à-dire indépendamment des rangs de chaque créancier.
On retrouve aussi cette règle de répartition consécutivement au versement de sommes par les dirigeants d‘une société débitrice en raison de leur condamnation à combler l’insuffisance d’actif ( Cass. Com. 28 mars 1995, n° 93-13937, Bull. civ. IV, n° 105 ; D.1995. 410 , note F. Derrida ; RTD civ. 1996. 163, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 127, obs. A. Martin-Serf ; Cass. Com. 7 avr. 2009, n° 08-10427, Dalloz actualité, 20 avr. 2009, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2009. 809, obs. A. Martin-Serf ).
C’est ainsi par exemple que même les créances salariales superprivilégiées ne peuvent pas être payées en priorité sur le produit d’une action en comblement de passif ( Cass. com. 20 mai 1997, Bull. civ. 1997, IV, n° 147 ; Quot. jur. 3 juill. 1997, p. 8, note P.-M. ; JCP, éd. E, 1997, I, 681, n° 19, obs. Ph. Pétel ).
La répartition des dettes ne suit pas les règles habituelles et va à l’encontre du principe de gestion unique des biens. Les experts critiquent souvent cette façon de faire, mais le gouvernement n’a jamais répondu à ces critiques.
Dans ce cas, l’argent collecté n’a pas été obtenu par une action menée par le mandataire judiciaire. Il n’a pas non plus été obtenu par une action pour combler l’insuffisance d’actifs. L’action avait été menée contre la banque de plusieurs sociétés en liquidation judiciaire, banque pénalement condamnée pour complicité de banqueroute.
Conséquence de l’arrêt
L’arrêt d’appel est donc censuré au visa de l’article L. 622-29 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 : il résulte de ce texte que le montant de l’actif, distraction faite des frais et dépens de la liquidation judiciaire et des subsides accordés au chef d’entreprise ou aux dirigeants ou à leur famille, est réparti entre les créanciers en tenant compte de leur rang.
La solution est parfaitement transposable en application de l’article L. 643-8. La répartition au marc le franc ne se conçoit qu’une fois les créanciers privilégiés désintéressés.
En résumé
Pour résumer, du montant de l’actif, il faut distraire les frais et dépens de la liquidation ainsi que les subsides.
Le solde est ensuite réparti dans le respect du classement imposé par l’article L. 641-13 du Code de commerce à savoir (depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives) :
- Les créances garanties par le super-privilège des salaires
- les frais de justice nés régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure
- les créances garanties par le privilège de conciliation
- les créances garanties par des sûretés immobilières.
- Les créances chirographaires
- les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire :
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- ou si elles sont nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l’activité autorisé en application de l’article L. 641-10
- ou si elles sont nées en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l’activité ou en exécution d’un contrat en cours décidée par le liquidateur
- ou si elles sont nées des besoins de la vie courante du débiteur, personne physique.
On doit pousser le raisonnement à son terme et déterminer les conséquences d’un paiement fait au mépris de la règle énoncée par la Cour.
Quid de l’hypothèse dans laquelle le liquidateur paie un créancier d’un rang inférieur ?
Dans un premier temps, la Cour de cassation s’est opposée à l’action en répétition de l’indu ( Cass. com. 7 nov. 1989, n° 87-19234, Bull. civ. 1989, IV, n° 283 ).
Plus tard, elle a affirmé au contraire que le créancier admis à titre chirographaire ne pouvait conserver les sommes versées en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ( Cass. com., 17 nov. 1992, n° 90-19.013 ).
En 2000, la même chambre proposait une distinction curieuse. Si le paiement portait atteinte à l’ordre des privilèges, l’action en répétition de l’indu était jugée irrecevable ( Com. 30 oct. 2000, Bull. civ. IV, no 169; JCP 2001, I, 298, no 7, obs. M. Cabrillac; Defrénois 2001. 364, obs. M. Sénéchal; RTD civ. 2001, p. 142, obs. J. Mestre et B. Fages ).
En revanche, un créancier admis à titre chirographaire ne pouvait conserver les sommes payées en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ( Cass. Com. 11 févr 2004, Bull. civ. IV, no 27; RTD civ. 2004, p. 732, obs. J. Mestre et B. Fages. ).
Cette distinction, à notre sens discriminatoire, n’est plus d’actualité puisque, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 mars 2014, le nouvel article L. 643-7-1 du Code de commerce prévoit désormais que le créancier qui a reçu un paiement en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ou par suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées.
Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. Le créancier privilégié, comme le créancier chirographaire, est tenu de restituer ce qu’il a indûment perçu.