Zoom Social – Février 2014
- Droit social
- / 02-02-2014
L’essentiel de l’actualité en droit social vue par le cabinet HAWADIER
RELIGION – VOILE – EXPRESSION : UN NOUVEAU CASSE TETE POUR L’ENTREPRISE
Vous avez tous entendu parler de l’affaire de la CRÈCHE BABY LOUP. Vous pensez qu’elle ne vous concerne pas ; et pourtant…Je rappellerai pour mémoire que la salariée de cette crèche, de confession islamique, avait été licenciée pour avoir refusé d’enlever son voile pendant le travail. La Cour de Cassation a rendu un arrêt le 19 mars 2013 au terme duquel elle a considéré qu’en l’absence de mission de service public, « il n’est pas possible d’invoquer le principe de laïcité pour limiter la liberté de se vêtir d’un salarié ». En clair, sauf circonstances exceptionnelles, un employeur ne peut pas interdire à l’un de ses salariés, plus tôt l’une de ses salariés, de porter le voile pendant le travail. Dans un arrêt retentissant rendu le 27 novembre 2013 la cour d’appel de Paris a refusé d’appliquer cette jurisprudence au motif que la crèche est « une personne morale de droit privé qui assure une mission d’intérêt général », de telle sorte que dans certaines circonstances elle peut constituer une « entreprise de conviction » au sens de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme ; confirmant ainsi que la justification du licenciement ne pourrait se trouver que dans la mission d’intérêt général assimilée à une mission de service public. Ce qui revient à dire pour la cour d’appel de Paris que la possibilité d’interdire le voile ne pourrait concerner qu’un nombre très restreint d’entreprises assurant une mission d’intérêt général et que pour la Cour de Cassation, en cela rejoint par le Conseil d’État dans un récent avis du 19 décembre 2013, il faut qu’elles assurent une mission de service public. Le Conseil a rendu un avis considérant que « la liberté de religion et de conviction s’applique dans l’entreprise privée dans les limites que constituent l’abus du droit d’expression, le prosélytisme ou les actes de pression à l’égard d’autres salariés ». Ainsi, toute mesure qui n’aurait pas simplement pour objet d’interdire ce type de débordement, ou de permettre de manière proportionnée l’accomplissement du travail dans des conditions normales, tomberait sous le coup de la discrimination et donc de l’interdiction. Il a notamment été jugé que les dispositions d’un règlement intérieur interdisant les discussions politiques ou religieuses excédaient l’étendue des sujétions que l’employeur peut édicter en vue d’assurer le bon ordre et la discipline d’entreprise (conseil d’État 25 janvier 1989 numéro 64 296). Voilà qui doit conduire à beaucoup de prudence pour un sujet délicat et parfois brûlant d’actualité. Pour ceux qui auraient l’intention d’intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives à ces questions il va falloir être extrêmement prudent et ajuster dans les formules qui y seront intégrées. À bon entendeur…
REVUE DE JURISPRUDENCE
L’OBLIGATION DE RÉSULTAT DE L’EMPLOYEUR ET LA VISITE MÉDICALE OBLIGATOIRE.
Un employeur qui recrute ne peut se contenter d’accomplir les formalités qui doivent conduire à la convocation du salarié à la visite médicale d’embauche. Il doit s’assurer que l’examen médical a eu lieu. Il en va de même pour la visite de reprise. L’absence de visite médicale cause nécessairement un préjudice au salarié. Cass. soc., 18 déc. 2013, pourvoi n° 12-15.454, arrêt n° 2113 FS-P+B
L’employeur démontre qu’il a bien envoyé la déclaration préalable à l’embauche (DPAE) à l’Urssaf qui l’a retransmise au service de médecine du travail. Il avait été blanchi par les juridictions du fond. La Cour de cassation est d’un avis différent : l’employeur n’a pas obtenu le résultat escompté. Or, c’est au résultat qu’il était attendu : « Attendu, cependant, que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l’effectivité ». L’absence de résultat se traduit donc par un manquement de l’employeur. La conséquence à en tirer est simple : ce manquement entraîne nécessairement un préjudice pour le salarié.
L’EFFET LIBÉRATOIRE DU REÇU POUR SOLDE DE TOUT COMPTE NE S’APPLIQUE QU’AUX SOMMES QUI Y SONT MENTIONNÉES
C’est la première décision de la Cour de cassation rendue sur le reçu pour solde de tout compte depuis la réforme de la loi no 2008-596 du 25 juin 2008. Elle a trait à la portée – limitée – de ce reçu.
Dans cette affaire, le document signé par la salariée démissionnaire détaillait, poste par poste, les sommes versées, rémunération des heures pour recherche d’emploi, indemnité compensatrice de congés payés, indemnité spécifique d’emploi. Le reçu, lui, était ainsi rédigé : « la somme de 1 645,47 euros (a été) versée pour solde de tout compte en paiement des salaires, accessoires de salaires, remboursement de frais et indemnités de toute nature dus au titre de l’exécution et de la cessation de mon contrat de travail. Je reconnais que comme conséquence de ce versement tout compte entre la pharmacie et moi-même se trouve entièrement et définitivement apuré et réglé ». Or la salariée avait ensuite saisi le conseil des prud’hommes pour faire requalifier sa démission en prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, aux torts de l’employeur, obtenir des dommages-intérêts pour harcèlement moral, le rappel des salaire au titre des heures supplémentaires, l’indemnité de licenciement, une prime d’équipement, des heures de formation non payées, le remboursement de frais et le paiement d’une journée de mise à pied. La cour d’appel estima cette demande recevable car elle ne concernait pas les sommes mentionnées sur le reçu pour solde, peu important la formulation générale qui y avait été insérée dans ce document. Cass. soc., 18 déc. 2013, pourvoi n° 12-24.985, arrêt n° 2246 FS-P+B
Cette jurisprudence se situe dans le droit-fil de la loi et du nouvel article L 1234-20 du code du travail. Le reçu n’a vocation qu’à faire « l’inventaire des sommes versées lors de la rupture ». Aucune formulation ne peut donc permettre d’en déduire qu’il pourrait emporter renonciation à des droits qui n’y sont pas mentionnés.
LIBERTÉ D’EXPRESSION DU SALARIÉ A-T-ELLE DES LIMITES ?
Dans cette affaire, la cour d’appel avait relevé que si les termes utilisés dans un courrier adressé à la direction pouvaient apparaître comme maladroits et excessifs de la part du salarié, ce dernier n’avait fait qu’user de son droit de critique en considérant que l’avertissement dont il avait fait l’objet était particulièrement injustifié, et qu’il ne pouvait être sérieusement soutenu que ses propos avaient un caractère malveillant, diffamatoire ou injurieux pour sa hiérarchie excédant les limites de la liberté d’expression. La Cour de Cassation a donc considéré que la cour d’appel avait pu décider que le salarié n’avait pas commis de manquement grave à son obligation de loyauté en se comportant de la sorte. Cass. soc., 18 déc. 2013, n° 12-22.140, n° 2275 F-D
Le dialogue entre employeurs et employé est donc affranchi de toute contrainte et de toute retenue sous la seule réserve de ne pas sombrer dans l’excès, l’injure ou l’agression gratuite.
FAUTE GRAVE INSUBORDINATION ET CONTENU DU CONTRAT DE TRAVAIL
Ayant retenu que la fiche de poste dont se prévalait le salarié ne pouvait être considérée comme un avenant à son contrat de travail ou un accord sur son exécution pour partie à son domicile, la cour d’appel a pu décider que le refus réitéré du salarié de travailler au siège de la société était constitutif d’une insubordination et, écartant par là-même une autre cause de licenciement, qu’il était de nature à rendre impossible son maintien dans l’entreprise et constituait une faute grave. Cass. soc., 18 déc. 2013, n° 12-20.228, n° 2157 F-D
Au-delà de l’illustration de ce que peut être une faute grave caractérisée par rapport à la notion d’insubordination, cet arrêt est intéressant dans la mesure où il met en évidence à l’encontre d’un salarié, que seul le contrat de travail et ses éventuels avenants de définir les obligations respectives des parties. Une fiche de poste ne fait pas partie du contrat de travail sauf à avoir été contractualisée.
RÉFORMES LÉGISLATIVES: DURÉE DU TRAVAIL
La principale modification apportée par la loi relative à la sécurisation de l’emploi est prévue à l’article L. 3123-14-1 du Code du travail qui fixe une durée minimale de 24 heures par semaine au contrat de travail à temps partiel.
Cette durée est impérative, mais peut être inférieure si elle est fixée :
- par la voie d’un accord de branche étendu (C. trav., art. L. 3123-14-3 ) ;
- à la demande du salarié, en raison de contraintes personnelles ou pour lui permettre de cumuler plusieurs activités afin d’atteindre un temps au mois égal à 24 heures par semaine (C. trav., art. L. 3123-14-4 ) ;
- par dérogation, pour les étudiants de moins de 26 ans (C. trav., art. L. 3123-14-5 ) ;
- par la faveur des dispositions des articles L. 5132-6 et L. 5132-7 au profit des entreprises de travail temporaire et des associations intermédiaires favorisant l’insertion professionnelle des personnes sans emploi.
Ces dispositions s’appliquent au 1er janvier 2014 pour les contrats conclu postérieurement et au 1er janvier 2016 pour les contrats en cours (L. n° 2013-504, 14 juin 2013, art. 12 ).
La loi nouvelle distingue les heures complémentaires du complément d’heures dont les régimes différent nettement.
Les heures complémentaires (C. trav., art. L. 3123-17 et s.) sont celles qui sont effectuées au delà de la durée prévue au contrat de travail qui relève du pouvoir de direction de l’employeur. Dorénavant, il convient de distinguer :
- les heures effectuées au-delà de la durée contractuelle, majorée de 10 % ;
- les heures accomplies au-delà du dixième de la durée contractuelle, majorée de 25 %.
Le complément d’heures (C. trav., art. L. 3123-25 ) correspond à l’augmentation du temps de travail temporaire du contrat de travail par le biais d’un avenant qui doit être accepté par le salarié.
Les heures ainsi effectuées doivent être prévues par une convention ou un accord de branche étendu prévoit :
- le nombre maximal d’avenants pouvant être conclus, dans la limite de huit par an et par salarié, en dehors des cas de remplacement d’un salarié absent nommément désigné ;
- éventuellement, la majoration salariale des heures effectuées dans le cadre de cet avenant ;
- les modalités selon lesquelles les salariés peuvent bénéficier prioritairement des compléments d’heures.
PREUVE DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES : DES ATTESTATIONS DE SALARIÉS PEUVENT NE PAS SUFFIRE
À l’appui de sa demande en paiement d’une somme à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, un salarié produit des attestations de collègues qui font état de son travail d’une durée de 10 à 12 heures par jour.
La Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’ « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ». Les Hauts magistrats affirment ensuite que les attestations des collègues du requérant sur ses horaires n’étaient pas suffisantes, au motif qu’elles ne faisaient pas état de faits directement constatés, puisque cela supposait que les salariés effectuaient les mêmes horaires. Face a cette jurisprudence particulièrement rigoureuse il n’est pas inutile de rappeler d’autres décisions plus fluctuantes. Qe salarié doit produire un décompte faisant apparaître pour chaque jour de chaque semaine les horaires accomplis (Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-10.123 , à propos d’un décompte récapitulatif établi mois par mois du nombre d’heures et d’un tableau peu compréhensible, jugés insuffisants), ou juger au contraire qu’un relevé des heures dépourvu de la moindre explication suffit (Cass. soc., 26 sept. 2012, n° 10-27.508 : JurisData n° 2012-021493 ), et retenir cette même dernière solution pour un simple décompte des heures complémentaires, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication supplémentaire (Cass. soc., 24 nov. 2010, n° 09-40.928 : JurisData n° 2010-021943 ). Les heures supplémentaires ne sont pas prouvées, en revanche, lorsque le salarié ne s’appuie que sur les copies de pages d’un agenda qu’il a lui-même rempli, corroborées par aucun élément extérieur et contredites par l’attestation présentée par l’employeur (Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-43.208 : JurisData n° 2011-010939 ).